" Lemonade, viens là, dépêche toi." Ma mère souffla, excédée en me voyant arriver, débraillée. " Ta robe, fais attention. Elle doit être parfaite. Allez, viens, je vais te coiffer. Tes cheveux, c'est plus possible là." Je soupirais, impatiente de retourner m'amuser mais ma mère en avais décidé autrement. Elle me fit m'asseoir sur le lit et entreprit de démêler mes longs cheveux bruns qui retombaient dans mon dos. Elle les brossait avec application et finit par faire de ma touffe un chignon parfait. Aucune mèche, rien. Ma robe rose et mes sandales blanches au pied, j'étais à son image : éclatante de perfection. Je détestais ça. Du haut de mes 6 ans, je trouvais qu'être obligée de rester assise toute une soirée pour ne pas abîmer sa robe ou ridiculiser ses parents étaient terriblement ennuyeux mais il était hors de question de leur désobéir. " Est-ce que demain, je pourrais aller jouer avec les enfants de Nena ? " Ma mère hocha la tête en achevant de se parfumer et lâcha d'un ton sec : " Ces enfants t'influencent un peu trop, Lemonade. N'oublie pas que tu es une Jefferson, jamais." Les enfants de Nena, Simbad et Leila. Nena était la femme de ménage et cuisinière de notre famille et aussi ma seconde mère pour moi. Ces enfants avaient mon âge ou presque et je m'entendais à merveille avec eux. Je ne comprenais pas en quoi c'était mal de jouer avec eux.


" Simbad ... " Ses mains se posèrent sur mon visage et il sourit malicieusement tandis que je soufflais : " Arrête .." Il secoua la tête et posa doucement ses lèvres sur les miennes, m'arrachant un petit soupir. " Lemon, j'ai pas envie d'arrêter, tu le sais. Je peux pas me passer de toi, j'ai essayé mais .. C'est pas possible. Et toi non plus, ne mens pas." Je haussais les épaules et secouais doucement la tête : " Je t'ai dans la peau, c'est horrible. Comment je peux faire pour arrêter de penser à toi ? Je peux pas continuer comme ça, tu le sais ? " Il soupira tandis que je baissais le regard, incapable d'assumer la lueur rageuse qui s'allumait dans son regard comme à chaque fois que j'abordais ce sujet. " Putain, tes parents ont pas à dicter ta vie. Lemon, tu vas avoir 18 ans bientôt. Partons ensemble, quittons tout. Ils ne pourront pas nous retrouver. J'ai de la famille au Mexique et .. " " Simbad, non. Je ne peux pas." Deux ans que nous nous fréquentions en cachette, deux ans que je me disais qu'il fallait que j'arrête mais que j'en étais incapable. Je l'aimais trop. Depuis toujours. Mais mes parents me tueraient s'ils le découvraient. Simbad était tout sauf le gendre idéal : pauvre, fils de leur femme de ménage, dealer, appartenant à une bande. Bref ... Un bad boy. Mais avec moi, il était doux, attentionné, amoureux, et ça me suffisait. J'étais moi avec lui et il était l'un des seuls à me connaître telle que j'étais. " Tu foires tout Lemon. Tu finiras seule et malheureuse et tu ne pourras t'en prendre qu'à toi même. Je ne vais pas continuer comme ça à t'attendre comme un con. Je ne vais pas continuer d'avoir honte de n'être que le fils de ta femme de ménage. Si tu es pas capable d'assumer, c'est ton problème, pas le mien. Tes parents t'aiment, ils accepteront, crois-moi." Je secouais doucement la tête.


" Je ... J'ai peur Simbad. Et s'ils n'acceptaient pas ? " Je soupirais nerveusement tandis qu'il caressait avec douceur mes cheveux. Lorsqu'il avait rompu avec moi, fatigué d'attendre que j'assume notre relation, j'avais compris que j'étais incapable de vivre sans lui. J'avais donc décidé d'assumer tout ça et de le dire à mes parents. Il me tenait la main histoire de me montrer qu'il était là et je lui souris, reconnaissante : " Ca va bien se passer Lemon. Je suis avec toi, d'accord ? " Je hochais la tête et je pénétrais alors dans l'imposante demeure des Jefferson, suivi de près par mon homme. Mes parents devaient se trouver au salon pour leur thé de 4h et je lâchais la main de Simbad avant d'entrer : " Papa .. Maman." Ils eurent un regard surpris en voyant Simbad pénétrer dans le salon à ma suite et je vis une lueur furieuse passer dans le regard de ma mère lorsqu'il se campa près de moi, une main dans mon dos. " Simbad et moi, on voulait vous parler." " Je ... On s'aime lui et moi. Depuis longtemps déjà. Et .. Je pensais qu'il était temps que vous soyez mis au courant." Je vis ma mère pâlir et mon père se lever brusquement : " C'est une blague Lemonade, j'espère ? " " Non Monsieur. J'aime votre fille et je vous promets que je ferais d'elle une femme heureuse et comblée." " Il en est hors de question jeune homme. Ma fille épousera un homme digne de son rang, pas un vulgaire .. " " Un vulgaire quoi ? Fils de femme de ménage, mexicain ? C'est ça, c'est ça ? " J'attrapais Simbad par le bras pour le retenir, je connaissais assez bien son caractère nerveux et agressif. " Papa s'il te plaît. Je l'aime, il m'aime. On peut pas juste être heureux ensemble ? " Ma mère eut un rictus de mépris et secoua la tête : " Les Jefferson n'accepteront jamais Simbad, jamais. Tu devras choisir ma fille. Car si tu pars avec lui, tu peux oublier que tu as une famille. Et crois-moi, une petite fille pourrie gâtée comme toi risque vite de regretter son statut de riche." Je secouais la tête excédée et quittais la pièce avec Simbad.


" Ouvrez cette porte." Je sursautais et me levais en sursaut du lit, secouant Simbad : " Chéri, réveille toi, réveille toi." Il grogna avant d'ouvrir un oeil puis l'autre et se leva avec difficulté : " C'est qui ? " " Ouvrez ou on enfonce la porte !" Il se dirigea vers la porte d'entrée, moi accrochée à son bras, encore vêtue d'un de ses tee-shirts. Nous vivions ensemble depuis 1 an déjà, j'avais 20 ans et je nageais dans le bonheur. Certes, mes parents ne m'adressaient plus la parole mais j'étais avec l'homme que j'aimais depuis toujours et il me rendait plus heureuse de jour en jour. Il ouvrit la porte et je vis alors deux flics débarquer dans le petit studio que nous occupions : " Simbad Avalez, vous êtes en état d'arrestation pour trafic de drogues et violences en bande organisée. Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous." Une moue d'incompréhension se peignit sur son visage et j'ouvris la bouche, la refermant avant de me laisser choir : " Je croyais que t'avais arrêté tout ça." Il se retourna vers moi tandis qu'on lui passait les menottes et il secoua la tête : " Lemon, je te jure, c'est pas moi, j'ai rien fait."

Bientôt, je me retrouvais seule, assise par terre avec mon avenir en ruines. Comment j'allais pouvoir tenir sans lui ? J'avais soudain l'impression d'être seule au monde.


" Chérie, nous t'avions dit qu'il n'était pas fait pour toi. Vous n'étiez pas du même monde. Enfin, au moins, cela t'as permis d'apprendre de tes erreurs." Je soupirais, cernée par mon père et ma mère qui n'avaient pas tardé à débarquer chez moi pour me ramener à la maison quelques semaines après l'arrestation de Simbad. Il avait pris 15 ans et depuis, il refusait de me voir comme s'il avait trop honte pour assumer ça devant moi. Je n'avais pas opposé de résistance à mes parents, à quoi bon ? Il ne me restait qu'eux maintenant. " Hum." lâchais-je d'un ton monotone. " Allez secoue toi un peu. On va te sortir, il y a plein de galas et de dîners prévus ce mois-ci, tu vas voir, on va s'amuser. Comme avant."' Sauf que ça ne m'amusait pas, et encore moins maintenant. Je hochais néanmoins la tête et souris : " Oui maman, ça va être fantastique. J'en suis persuadée." Elle passa sa main sur mon visage d'une caresse tendre et sourit : " je suis heureuse de t'avoir près de moi Lemonade, tu m'as tellement manquée, tu sais ? " Elle sourit et je hochais la tête : " Moi aussi maman."


" J'ai beaucoup entendu parler de toi Lemonade. Ta mère ne m'a dit que du bien de toi." J'esquissais un sourire entendu et hochais la tête : " Comme toutes les mères, je suppose." " Moi, c'est Matthew au fait. Enchanté." Je serrais la main qu'il me tendait et il déposa un baiser dessus. Ma mère avait arrangé cette rencontre, j'en étais persuadée. Je la connaissais par coeur et depuis mon retour à la maison, elle n'espérait qu'une chose : un mariage racé et noble. Et Matthew correspondait à ce qu'elle attendait. Anglais, fils d'une duchesse respectable, à la carrière en vogue, riche. Tout ce qu'elle aimait et désirait pour "sa petite princesse".  " Que dirais-tu d'aller prendre l'air ? Il fait encore doux dehors." Je hochais la tête et le suivis. Cela faisait déjà plus de deux ans que Simbad était en prison et que je n'avais aucune nouvelle de lui malgré mes lettres suppliantes. Je crois qu'il était temps de tourner la page et je savais que je ne pourrais plus tomber amoureuse. Autant donc m’amouracher d'un type qui plairait à ma mère, comme lui. " Alors, que fais-tu dans la vie Matthew ? " Il sourit et lâcha : " Je viens de créer mon entreprise et je poursuis en même temps mes études en droit. J'espère devenir avocat. Et toi Lemonade, que fais-tu ? " " J'écris. Je fais des études de lettre actuellement mais je veux ouvrir une librairie. J'ai déjà publié deux romans." Il hocha la tête, un petit sourire narquois sur les lèvres. Dans mon monde, les artistes ne sont pas toujours appréciés à leur juste valeur. Mais je m'en fichais. " Et si on allait dîner à l'occasion ?" " Avec plaisir."


" Yellowski ? Vraiment ? Pourquoi pas... Si ça te tente." Il hocha la tête et sourit : " Ta mère m'en a dressé un tel portrait, ça a l'air merveilleux d'habiter là-bas, tu sais ? Allez, dis ouii. Mon pays me manque, vraiment et je sais que tu en peux plus d'avoir tes parents sur le dos. Un océan nous séparera." Je souris : " Ok. Devenir une citoyenne anglaise me semble être un programme parfait. Je vais commencer notre candidature pour Madame alors. Maman va être ravie si nous sommes pris. Pour elle, cela représente beaucoup que sa fifille soit acceptée." " Je vais profiter que mon troisième roman fasse parler de moi un peu partout dans les pays anglophones pour candidater, c'est le moment idéal." Matthew sourit et hocha la tête : " Exactement, de toute façon, ton nom suffira, tu te doutes bien. Le mien aussi. Nous ne sommes pas n'importe qui Lemonade chérie, nous avons le monde à portée de mains." Il déposa un baiser sur mes lèvres et je souris. Nous étions mariés depuis quelques mois et tout allait à merveille entre nous. Mais je ne l'aimais pas. Je m'interdisais l'amour depuis Simbad car je savais que personne ne pourrait prendre sa place. Je continuais de lui écrire régulièrement, lui parlant de ma vie et de ce que je vivais même si jamais je n'obtenais de réponse. C'était ma façon d'être à ses côtés, même loin de lui.


" Vous verrez, vous ne le regretterez pas. Ce roman est une vraie merveille." Je souris à ma cliente et elle me salua avant de quitter la librairie que Matthew m'avait achetée récemment. Je vivais enfin mon rêve, romancière et gérante de ma propre librairie. J'étais épanouie en Angleterre. Mes parents étaient loin et je me sentais enfin libre de penser par moi-même, de vivre par moi-même même si Matthew était aussi coincé avec ses traditions que moi avec les miennes. Sa famille veillait à ce qu'il ne fasse jamais de faux pas et nous pressait pour faire un petit hériter. Moi, je n'étais pas pressée, je voulais vivre, voyager... Ding La cloche de la boutique me tira de mes pensées et je levais la tête pour saluer le client, tout sourire. Simbad. Mon visage se décomposa et mon sourire s'effaça brusquement. Je devais rêver. " lemon." Le son de sa voix me prouva alors que non, je ne rêvais pas. " Simbad, oh mon dieu, tu es là. Tu es vraiment là." Je me précipitais et me jetais dans ses bras, provoquant un petit rire chez lui. Je sentis ses bras se refermer sur ma taille : " Tu as maigri Lemonette, c'est pas bien ça. Tu vas te remettre au régime tacos." Je ris malgré moi et m'écartais de lui, m'emparant de son visage pour le regarder : " je n'arrive pas à croire que tu sois devant moi, c'est tellement ... Tu m'as tellement manqué."