PROVIDENCE, USA (1990-2001) → Je suis née le vingt mars, chez moi. Notre voisine faisant office de sage-femme. Il y avait presque la moitié du petit quartier résidentiel où j'habitais qui s'était réuni à la maison pour fêter ça. Ma mère a été soulagée que je sois en bonne santé, car j'était venue un peu plus tôt que prévu pour me joindre à la fête. Mon père avait été si surpris qu'il est resté bouché pendant une bonne dizaine de secondes. Il était très soulagé et très inquiet, en fait. Papa et Maman Applewood avait tellement eu du mal à me concevoir, m'a expliqué maman. Kayla m'avait beaucoup désiré, et enfin, le seul enfant qu'elle aura pu concevoir se trouvait dans ses bras, un peu prématurément, mais il était là. Ils me nommèrent Lullaby, Lullaby Edelweiss Applewood. Je suis passée dans les bras de tout le monde. C'était la fête, à la maison. Même si je ne comprenais pas grand chose à ma vie, ce jour avait quand été important ; j'avais poussé mon premier cri.

Quatre ans.
Un vent léger souffla et agita l'herbe haute de mon jardin. Un vent bien trop léger pour être réellement rafraichissant. Une chaleur de plomb sévissait depuis quelques jours et nous étions en fin d'après-midi. Le soleil ardent allait bientôt se coucher et chacun pourra profiter de la douce fraicheur d'une nuit d'été. Je suis couchée, au milieu de l'herbe un peu sèche de notre jardin. Je regarde les nuages, seule, encore protégée du monde extérieur grâce à cette bulle que m'offrait l'enfance. Une bulle me protégeant du monde des adultes, c'est papa qui me l'a dit. Mon père c'est le plus fort, c'est le roi. Il m'a appris à jouer au football, et maintenant je joue presque mieux que lui. Il est doté de pouvoirs magiques. Vous ne me croyez pas ? Laissez-moi vous raconter... Un jour, j'avais tellement peur du monstre qui se cachait sous mon lit que je n'ai pas voulu aller dans ma chambre dormir. Alors papa est entré dans la pièce a fermé la porte derrière lui, me laissant sur le seuil en train d'attendre qu'il chasse le monstre. Il est ressorti quelques minutes après et m'a dit que le monstre était parti. Je vous assure que je n'ai plus entendu le gros méchant monstre de toute ma vie.

Dix ans.
J'avais grandi. Il y avait encore la bulle qui me protégeait mais je sentais bien que la barrière entre moi et la réalité était de plus en plus fragile. De cheveux coupés au carré encadrait mon visage pâle, de grands yeux chocolats pétillants de malices, des lèvres toujours éclairées d'un sourire. On venait d'emménager dans une plus grande maison et Sam, mon papa, avait insisté pour qu'on prenne une dernière photo de famille devant ma future ancienne maison. Mon père est blond, ma mère est blonde également et je me suis demandé parfois pourquoi je n'avais pas hérité de leur jolie teinte de cheveux enfin bon.... Mais le pire c'était juste de voir un peu plus loin dans mon arbre généalogique, tous des blonds. Trêve de bavardages sur les cheveux, je pourrais vous faire tout un discours la dessus.

PROVIDENCE, USA (2008) → C'est fou ce que le temps filait vite, les années s'étaient écoulées, comme les gouttes d'une averse sur une vitre. Rapides, presque fugaces. Un instant j'étais une petite fille, prête à défier le monde, et l'instant d'après me voilà à conter ma vie passée aux seuls qui veulent encore m'écouter. La vie passe. Aussi rapide qu'un battement de cil. Aussi rapide qu'un battement d'aile. J'ai grandi, j'ai gagné en maturité mais je pense être restée la même. La même avec vingt centimètres de plus...

Dix-huit ans.
Aujourd'hui il pleut. Une averse torrentielle. L'avenue est boueuse, impraticable. Impossible de sortir de la maison lorsque le ciel est furieux comme aujourd'hui. Il n'est d'ailleurs pas le seul à déverser sa rage. Le nez collé à la vitre de sa chambre, je me concentre sur le bruit des gouttes pour oublier ce que je venais d'apprendre. Le monde dans lequel je vis semblait parfait, et pourtant ce n'est qu'une illusion. Tout venait de s'écrouler. « Comprend-moi, Lullaby. » « Je comprend, maman. Mais je suis en colère. Laisse-moi le temps de digérer tout ça. » Oui, j'étais quand même blessée. Blessée qu'on ait pu me cacher une chose pareille, vivre avec ce secret et faire comme si de rien n'était. Je m'asseyais sur mon lit, fermais les yeux et respirais doucement, essayant de retrouver mon calme pour récapituler tout ce que j'avais. Ma mère sortit et Sam entra. Il prit place sur le lit et soupira.
Je n'osais même plus l'appeler Sam, j'avais tellement l'impression que c'était un inconnu qui se trouvait en face de moi. « Lula, je suis ton père. » Je n'ai pas pu réprimer un rire nerveux. « Souviens-toi de nos longues parties de football, rappelle-toi qui est-ce qui nettoyait la cuisine après qu'on ait fait la cuisine pour pas que ta mère nous voient. A qui tu racontais tes petits secrets quand tu étais petite ? Qui est-ce qui t'aidait à attraper des fées dans le jardin...? Et puis, moi je voulais pas tellement que t'aille à la danse. J'aurais préféré encore jouer au football mais ça avait l'air de tellement te plaire, alors bon, je t'ai soutenu. Comme je te soutiendrais toujours dans tout ce que tu feras. Tu vois ma Lula, tous ces bons souvenirs que j'ai passé en ta compagnie je m'en rappellerais toute ma vie. J'étais là à tes cotés. Même si chaque jour je savais que tu n'étais pas le fruit de mes entrailles, je t'ai aimé. Je t'ai aimé comme ma propre fille, parce que c'est un peu ça tu vois. Je te considère comme ma fille à part entière, et je te demande pas de nous pardonner ta mère et moi mais juste de faire preuve de compréhension. » Ça y est, avec quelques phrases il arrivait à me faire pleurer mon papounet. Tandis que les larmes roulaient sur mes joues, il se leva mais je le retins par la manche. « Reste. » Il obéis en silence et je vins me caler dans ses bras protecteurs qui m'avaient toujours bien accueillis.

La tornade est passée, emportant avec elle ma rancœur et ma haine. Je n'avais pardonné à personne encore. Tout étais chamboulé dans ma tête, au point même que je me demandais, à moi, qui j'étais vraiment. Je m'appelle Lullaby Edelweiss Applewood. Je suis née le 20/3, ici, à Providence. Celui que j'ai pris pour mon père n'est pas mon père. Mon vrai père a une autre famille ailleurs... Et je ne sais rien de lui !
Quoi d'autre ? Je ne savais pas. Est-ce qu'on m'avait caché autre chose ? Ça ne m'étonnerait même plus. Je me sens trop mal pour demander des explications à qui que ce soit. Je n'ai pas faim, la vérité m'a coupé l'appétit. Je ne mange plus beaucoup et quand je daigne enfin avaler quelque chose, je cour aux toilettes le vomir. J'ai perdu beaucoup de poids, mais personne ne l'a remarqué. Je erre dans la maison comme un fantôme, mes parents m'évitent... Je pense qu'ils doivent avoir peur de ma réaction. Pourtant je crois que je ne leur en veut plus trop, je suis trop à l'ouest pour savoir quelque chose. Le mensonge m'avait empoisonnée et s'est infiltré dans mon corps. Il avait brûlé ma chair, s'était imprégné dans ma peau et était allé mangé les entrailles de ce que je suis, enfin de ce que je crois être. Le mensonge était là, ne voulait plus partir de mes chromosomes, de mes pores. J'étais l'essence même d'un mensonge !

PROVIDENCE, USA (2011) → J'ai eu le temps de réfléchir. J'avais pardonné à tout le monde, sans rancunes. Déjà, car il s'était passé pleins de choses plus ou moins horribles entre-temps et parce que la vie est trop courte pour qu’on se décide de tourner le dos aux gens qu'on aimait. Mais mon côté intrépide me murmurait que je ne ratais rien en allant retrouver un petit bout de moi là-bas. Je sais en plus que je ne serais pas seule. Et oui, une demie sœur m'attends. Pleins de questions se bousculaient dans ma boîte crânienne mais j'étais déterminée et rien ne m'arrêterait. J'avais conscience de foncer tête baisée au bout d'une falaise mais qui sait ce qu'il y aura en dessous ? Sûrement une chute douloureuse mais tant pis. J'étais grande maintenant, je savais ce que je voulais.

TO LONDON, ENGLAND (2011) → Une chaleur de plomb sévit sur ma ville. Le soleil ardent est au plus haut et un vent trop léger pour être réellement rafraichissant. Tout est silencieux. Personne ne m'a accompagné à la gare. La perspective de quitter mon ancienne vie me faisait quand un pincement au cœur. J'avais dit au revoir à tout le monde, excepté Sam qui avait refusé de me voir et de m'adresser la parole. J'étais triste, vexée. Il m'avait abandonnée, au moment où j'avais le plus besoin de lui, en plus. J'avais été naïve de croire qu'il viendrait seulement parce que je partais. Je savais que lui aussi était vexé de voir que je n'avais pas démordu à aller voir un autre que lui, mais il me manquait déjà.
J'allais passer la douane, quand j'ai vu une silhouette au milieu de la foule. Une silhouette familière, que je connaissais bien. Que je connaissais trop bien. Papa était là. J'ai soupiré, pour éviter de lui sauter dessus et de le serrer dans mes bras. J'en avais tellement envie. « N'oublie pas de passer chez Zara. » J'ai levé mes yeux pour rencontrer les siens et il m'embrassa le cuir chevelu. « Promis, papa, je lui dirais tout ce que tu m'as dit. » « Reviens vite. » J’acquiesçai gravement et me détachais de son étreinte douloureusement. Et quelques heures plus tard, j'arrivais à Londres.