"It should be me..." Vingt deux heures trente… Je m’étire péniblement après avoir posé mon livre de médecine sur la table de la cafétéria de la caserne de pompier. J’ai passé toute ma journée assis derrière un bureau à suivre mes cours et cette nuit, j’étais de piquet chez les pompiers. C’était un de seuls jobs qui payait bien mes études et qui avait surtout accepté d’engager quelqu’un qui avait failli finir en taule pour avoir tué son père, alors j’ai sauté sur l’occasion. Par chance, j’ai un bon physique et il se trouve qu’être pompier sauve des vies, tout comme le métier que j’ai décidé de faire lorsque je n’étais encore qu’un adolescent. Je me lève pour me servir une tasse de café, la seule chose qui me permet de tenir le coup entre mes études et mon job ici. C’est très calme ce soir. La sirène n’a pas encore retentit et la moitié de mes collègues sont chez eux. Il n’y a que mon meilleur ami qui dort sur le banc en ronflant comme s’il sciait une forêt à lui tout seul. Cette image me fit sourire. J’ai de la chance d’avoir un pote comme lui, qui ne m’a jamais jugé. Je l’ai rencontré peu après mon arrivé ici, après avoir fui Dublin pour essayer d’oublier ce qui était arrivé là-bas. Il s’en fiche lui que j’ai tué mon père pour protéger ma mère et que celle-ci ne m’a jamais remerciée. Il ne voit que le Isaac très assidu dans ses études et celui sur qui on peut toujours compter. J’avale une longue gorgée de mon café lorsque la sirène retentit. Un feu dans un immeuble que je reconnais immédiatement. Je secoue Jason qui se lève d’un bond en voyant l’adresse de l’incendie. On s’habille en toute hâte et nos collègues nous rejoignent en bas. On part à deux camions, c’est assez sérieux. Quand il s’agit d’un feu causé par l’électricité, c’est encore plus dangereux et tout menace d’exploser d’une seconde à l’autre. Je n’ai pas besoin de demander quoi que ce soit, il me suffit de regarder mon meilleur ami pour voir à qui – ou plutôt à qui – il pense. On arrive sur les lieux et ignorant les recommandations du capitaine, on enfile masque à oxygène et on se jette dans le feu. On a toujours fait une bonne équipe lui et moi. Dans certaines circonstances, on ne peut pas parler et on a cette faculté à tout de suite comprendre ce que l’autre veut faire pour anticiper les actions. Heureusement, on « l’a » retrouve rapidement. Par chance, Rachel était déjà dans la cage d’escalier quand on arrivait. Jason me fait signe de la sortir et j’ai toute la peine du monde à l’obliger de me suivre. Je jette un dernier regard à mon meilleur ami qui arrive à l’étage pour aller voir s’il reste des personnes. On ne s’est jamais séparés durant une intervention, quel trou de balle. Durant le trajet, je m’occupe de donner de l’oxygène à Rachel pour éviter qu’elle se fasse asphyxier par la fumée mais elle gigote tellement que c’est difficile. On arrive enfin dehors quand tout d’un coup, une détonation se fait entendre derrière nous. Je n’ose même pas retourner, tout ce que j’entends ce sont les cris de Rachel dans mes bras.


"... and I let her go." Elle est tout simplement partie. Je l’ai laissée devant chez elle, je pensais qu’on allait en parler, que je devrais peut-être même m’excuser – je l’aurais fait – ou peut-être que dans mes rêves les plus fous, on aurait continué à s’embrasser dans son appartement. Mais non. J’ai coupé le moteur, Rachel est sortie de la voiture et elle est rentrée chez elle, me laissant comme un con sur le bas côté de la route. Mon regard s’était perdu dans le vide alors qu’un flot incalculable de questions s’était précipité dans ma tête. N’avait-elle pas apprécié ? Ou au contraire, avait-elle ressenti quelque chose ? Est-ce que tout comme moi, elle pensait à Jason ? Que dirait-il ? M’en voudrait-il  ou aimerait-il qu’elle refasse sa vie ? Après tout… Qui est le mieux placé que moi pour prendre soin d’elle ? Je l’ai démontré plus d’une fois. D’innombrables fois je l’ai consolée, je l’ai aidée à se relever, à se trouver un but dans la vie depuis la mort de son fiancé. Jason m’avait chargé de prendre soin d’elle en la sortant du bâtiment en feu et c’est ce que j’ai fais. Jai déplacé ma voiture un peu plus loin, sur le trottoir d’en face et j’ai attendu dans la nuit. Combien de temps ? Je ne sais pas, mais bien assez longtemps pour finalement la voir sortir avec des sacs trainant derrière elle et prendre un taxi. Elle est partie, tout simplement sans rien dire de plus. Je ne me suis jamais senti aussi bête de toute ma vie. Je l’ai embrassé et peut-être que si je n’avais jamais fait ça, elle serait rentrée normalement chez elle et on se serait téléphoné trois jours plus tard pour se voir ou pour parler foot.

Elle a tourné la page, il fallait que j’en fasse de même. Pas un mot, pas une indication. Je n’ai absolument aucune idée d’où elle peut se trouver. J’ai terminé mes études de médecine à trente ans. Je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant, autant dire que le moral n’est pas au beau fixe. Je tourne en rond dans ce qui est mon nouvel appartement à Yellowsky un joli quartier près de Londres. J’ai un bon poste à l’hôpital de la capitale Britannique. J’ai atteins mon but, j’ai réussi ce que je m’étais promis de faire lorsque je n’étais qu’un gamin apeuré de rentrer chez lui pour tomber sur ses parents qui s’engueulaient. Je suis cancérologue et j’ai une dizaine de médecins sous mon aile. Mais peu importe l’argent, peu importe les diplômes qui trônent au-dessus de votre bureau, tant que vous n’aurez pas cette personne si spéciale près de vous, votre monde sera toujours incomplet.