Ewilan jeta un coup d'oeil par la fenêtre, repoussant le rideau, laissant par la même entrer dans la petite chambre un rayon de lumière, qui vint chatouiller la joue de Rikkard. Rien à l'horizon, ce qui était une assez bonne nouvelle. Ignorant le grognement ensommeillé de son frère, elle laissa retomber le bout de tissu, qui se mit à pendre tristement, rendant le lieu de nouveau obscur. Voilà plus de vingt quatre heures qu'ils étaient là, et elle en avait déjà marre. Rester enfermée était une véritable torture pour la jeune fille, qui aimait les grands airs, l'action et le mouvement. Ici, ils n'avaient rien à faire, et s'ennuyaient ferme. Malheureusement, c'était quelque chose d'obligatoire et de nécessaire, si les deux jeunes gens ne voulaient pas se faire prendre. Quittant le rebord de la fenêtre, elle se dirigea vers la petite salle de bains, laissant la porte ouverte, au cas où son frère déciderait de parler. Pour le moment, il semblait bien trop occupé à écouter le téléviseur, diffusant les informations. Si elle s'était écoutée, elle aurait éteint le poste, n'en pouvant plus de voir son image diffusée partout, comme si elle était l'ennemie numéro un de toute la Hollande. Mais il fallait qu'ils écoutent ... Ils sauraient ainsi quand ils pourraient enfin fuir sans risquer la prison, ou pire.

Se postant devant la glace, la Rosenberg fixa son reflet, comme s'il allait lui dire ce qu'elle devait faire. Elle avait beaucoup changé. Son visage était devenu plus dur, elle se maquillait plus qu'avant, lui donnant une maturité qu'elle ne savait pas posséder. Ses cheveux aussi avaient changé. Depuis la photo que l'on voyait placardée partout, ils avaient énormément poussés, et avaient quitté ce brun terne pour un blond beaucoup plus lumineux. Elle ne souriait, de ce fait, plus autant, et plus de la même façon. Que de chemin parcouru depuis la dernière fois qu'elle avait pris le temps de faire un bilan d'elle-même. Ils partiraient bientôt pour Londres. Là-bas, ils ne se cacheraient pas. Du moins, pas au début. La situation ici devenait dangereuse. Encore heureux qu'elle ne soit pas attachée à sa patrie, et que sa patrie ne souhaite que son départ, ou sa mort.

Attrapant au hasard un liner noir, elle se mit en tête de remettre une touche à son maquillage. Voilà quelque chose qui l'occupait bien. S'il y a quelque chose qu'elle avait en commun avec beaucoup de filles, c'était bien sa passion pour le maquillage. Une lubie qui lui rappelait avec plaisir qu'elle était aussi humaine que n'importe qui, ce qui pouvait la soulager parfois. Bien qu'elle sache pertinemment qu'elle se tenait bien au-dessus de toutes les personnes qu'elle avait rencontrées.

" Faudrait que tu me dises à quoi ça te sert, de te maquiller alors que l'on ne peut pas sortir. "

La voix de Rikk manqua de la faire sursauter, et elle se retint de lui sauter dessus et de lui mettre une baffe pour ça. Se contentant d'un regard noir vers le regard moqueur de son jumeau, elle ne prit tout d'abord pas la peine de répondre avant d'avoir fini, puis vint se poster dans l'encadrement de la porte, les bras croisés, un petit sourire au coin des lèvres.

" Il y en a qui ne sont pas fous de joie d'être inactifs et affalés sur des lits miteux. Mais tu ne dois pas savoir ce que ça fait. "

Un autre grognement lui répondit. Il savait pertinemment qu'elle rigolait et que sa façon d'être la poussait à lui rendre la monnaie de sa pièce à chaque fois qu'il se moquait d'elle. A dire vrai, elle ne savait pas ce qu'elle ferait sans lui. Il était bien plus que son frère. Il était la moitié d'elle-même, celui sans qui la vie n'avait pas de sens, déjà que pour eux, elle en avait peu. Depuis qu'ils avaient perdu leurs parents, il y avait de ça dix ans, ils s'étaient promis de ne plus se quitter, même si cette promesse n'avait jamais été réellement prononcée à haute voix. Malgré toutes les familles d'accueil qu'ils avaient faites, jamais ils n'avaient réussi à trouver celle qui leur convenait, jusqu'au moment où ils avait définitivement fuit, juste après avoir compris que l'on voulait les séparer. Ce qu'elle ressentait pour lui était tellement fort qu'elle se demandait parfois si ce n'était pas cet amour fraternel inconditionnel qui allait avoir raison d'eux alors qu'ils arrivaient si bien à échapper aux hommes qui les poursuivait.

Bougeant encore, Ewilan partit s'asseoir sur le petit fauteuil près de la fenêtre, où elle avait passé la majorité de son temps depuis qu'elle était arrivée ici. Le silence s'éternisa, seulement interrompu par le flot d'informations continu, jusqu'à ce que son frère se tourne vers elle.

" Tu es sûre que le gérant de l'hôtel ne va pas nous dénoncer ?"

Levant les yeux au ciel, la jeune fille entreprit de regarder si sa manucure n'avait pas souffert de leur récente fuite, montrant à son frère l'inutilité de sa question.

" Hinhin, il ne dénoncera personne, déjà parce que je ne pense pas qu'on nous ai reconnu, puis ensuite parce qu'il m'obéit au doigt et à l'oeil. Ca s'est vu non ? Il nous a pratiquement offert la chambre ! Tout ça parce que je lui ai dit que je n'avais pas beaucoup d'argent. "

Denna avait tendance à abuser de ce qu'elle appelait "le don du ciel". Ou le "don des enfers", selon ce qu'elle en faisait. Arriver à manipuler la plupart des gens qu'elle croisait, pour ne pas dire tous les gens, mis à part son frère, c'était quelque chose de grisant, et d'assez flippant. Elle avait appris seule à gérer et à améliorer cette capacité, en parallèle du fait d'améliorer ses capacités de cleptomane. Dans ces deux arts, elle était plutôt douée, mais Rikk, pour le deuxième, l'était tout autant, et c'est pour cela qu'ils formaient un duo qui effrayaient tous les banquiers de la région. Car à quoi servirait un tel atout, si ce n'était pour se rendre riche ?

" Mhm. Je pense qu'on partira bientôt. Ils n'ont pas l'air de poursuivre les recherches par ici, mais nous pouvons quand même attendre un jour de plus. "

Ewilan blanchit à la dernière partie de la phrase de son jumeau. Ils ne pouvaient pas rester là encore une journée, elle allait finir par devenir claustrophobe.

Sachant le cas de conscience devant lequel elle devait faire face, son frère la regardait d'un air sadique. Serrant les dents, elle finit par capituler, et détourna le regard, l'air morose. Elle ferait ce qu'on lui disait, s'il le fallait, mais c'était au prix de sa bonne humeur.


Etudiante en musicologie. Voilà ce qu'elle avait décidé d'être. Si elle devait choisir une vie, autant que cela lui plaise, et le chant était une de ses passions, quelque chose qui lui appartenait et qu'elle aimait, la seule chose qu'elle pourrait garder à jamais. Ils avaient élu domicile dans le quartier de Yellowsky, rencontré quelques voisins, s'étaient liés d'amitié, ou au moins le laissaient-ils croire, et commençaient à apprécier la vie dans ce quartier. Mais après tout, qui savait réellement ce qu'il se passerait plus tard, quand leur vie à Londres commencerait réellement, et quand ils referaient ce qu'ils avaient toujours fait: voler ?