Ralph. Pour moi c'était comme Navya, c'était la même chose. Je les mettais dans le même panier. J'avais pas envie d'essayer de le connaître, j'en avais pas besoin. Il était comme elle, sûrement, forcément, il fallait être con pour pouvoir supporter une telle garce. J'aime ma sœur, au fond, je crois. Je suis obligée de l'aimer un peu parce que c'est mon sang, c'est ma famille mais je la supporte pas, je la déteste. On est trop différentes, trop à part. Je ne suis pas ma sœur, elle n'est pas moi et on ne s'entendra jamais. On ne peut pas. C'est pas fait pour être comme ça. La distance est trop forte. Cette distance c'est elle qui l'a placée entre nous, dès le début avant même que je ne puisse m'en rendre compte, sans que j'ai mon mot à dire. Quand il n'y avait encore que nous deux déjà un rideau de fer nous séparait. Elle était l'URSS, j'étais les États-Unis, ça ne marcherait jamais. Elle voulait jouer ? On allait jouer. Ça m'allait parfaitement. De toutes manières deux ans plus tard j'avais Hanuman, je n'avais pas besoin d'elle. Qu'elle aille réussir, qu'elle fasse la fierté de notre père, qu’elle devienne l'exact copie de notre mère. Je m'en fichais. Mieux valait elle que moi. Je ne serais jamais comme ma mère, je ne serais jamais comme Navya.
Alors je ne voulais pas savoir qui était ce mec qu'elle avait épousé. Un gosse de riche à coup sûr, un petit bourgeois au cerveau valant son pesant d'or, un européen, un mec bien. Je voulais pas en entendre parler ni de près ni de loin. Ils faisaient leur vie, je faisais la mienne. Je suis un peu aigrie pour une fille qui est encore dans la vingtaine. Aucune importance.
J'avais un quotient malchance assez impressionnant. Si la malchance était bénéfique dans un casino j'aurais fait exploser les machines à sous rien que par mon entrée dans le bâtiment. Je faisais des choix de merde. Ça avait pas toujours été le cas à vrai dire. En Inde tout allait bien, tout allait pour le mieux, je faisais ce que j'aimais et puis j'étais partie, j'avais suivi mes rêves, je m'étais fait plaisir. Ça avait commencé avec Tristan, première grosse erreur de ma vie. Un mariage, à 18 ans, la belle affaire, avec un connard de français incapable d'assumer ses responsabilités qui plus est. Puis il y avait eu la maladie. Un parkinson à 24 ans. Tout le monde vous dira que c'est impossible. Faut croire que moi les maladies de vieux elle me trouve plutôt cool comme organisme. Et enfin Ae. Quel bâtard, encore une pourriture de petit français celui là. Maintenant j'étais seule. Seule dans l'appart. Il me restait rien. Il me restait plus que Dorian, heureusement qu'il était là, il me maintenait à flot. Même si sa rousse de meilleure amie voulait ma peau. Je savais pas ce qu'on était avec Dorian, je savais pas ce qu'il était pour moi mais je m'accrochais à lui, j'en avais besoin, sinon je coulerais.
Bien entendu tout ça ne suffisait pas. Il fallait également que Navya débarque à Yellowsky. Génial. J'avais que ça à faire de la voir celle là tien. J'avais pas besoin qu'elle vienne afficher son bonheur et sa perfection devant moi. Et puis c'est pas tout. Il fallait également que le personnel de l'hôpital soit une bande de gros boloss qui ne trouve rien de mieux à faire que de refiler mes résultats au mari de ma sœur. Je veux pas qu'elle sache. Ni elle ni n'importe qui d'autre. Hanuman le sait pas, mon père le sait pas, ma mère le sait pas, c'est pas à ma sœur que je vais parler de ça.
Je sais pas pourquoi il lui a pas dit. Je suppose que du coup je lui en doit une. Je veux pas le connaître. Je voulais pas. Maintenant c'est plus pareil, maintenant j'ai eu ses résultats sous les yeux, maintenant je sais que son cerveau déconne presqu'autant que le mien. Ça change pas qui il est, mais peut être un peu en fait. Je crois que ça m'a fait réaliser que c'était une vraie personne et pas juste le mari de Navya. Il était peut être pas si con au fond, c'était peut être pas un être si dénué d'intérêt que ça, ou peut être que si. Je savais pas, je voulais toujours pas savoir mais maintenant je le comprenais et surtout il me comprenait. Ae me comprenait aussi, mais il était plus là maintenant. C'était à cause de lui que je me préparais seule dans notre appart aujourd'hui, que je n'avais plus aucun suspens, que je savais que je pourrais avoir le jouet dans le paquet de céréale parce qu'il ne me le volerait plus, que je n'avais plus personne pour m'aider à m'habiller, que je n'avais plus personne pour transformer les résultats médicaux en compétition. J'avais envie de pleurer. J'avais envie de le tuer. Je devais être forte. C'était qu'un con, un français, un de plus.
Merde. J'allais être en retard. Je me dépêchais de sortir de chez moi, les cheveux détachés. Au moins il commençait à faire beau, relativement beau, beau pour Londres quoi. Je m'habituerais jamais à ce climat tout pourrit je crois. Heureusement que j'étais un petit ninja et que je savais quel métro prendre pour rejoindre Ralph. Étrange mais on était devenus plutôt proches, étrange mais je crois que je finissais par l'apprécier. Alors bien sûr quand il m'avait demandé de venir j'avais dit oui. Je savais que s'il voulait me voir à moi c'est que ça allait pas. J'allais pas le laisser tomber. Il essayait d'être là pour moi, j'essayais de lui renvoyer l'ascenseur. Je marchais le pas sûr, approchant des hauts arbres où nous avions rendez vous. J'aurais jamais pensé mais il était devenu un ami pour moi. Je m'étais trompée sur lui en fin de compte, il valait peut être la peine que j'essaie de le connaître.
Je l'aperçu de dos dans le bois. Je souris.
Hey ! Robinson t'es perdu ? Personne a jamais dit que l'humour se bonifiait avec l'âge hein à ce que je sache. J'avais toujours eu un don pour les vannes nulles, ça changerait pas, et puis, il paraît que ça fait partie de mon charme. L'air doux me calmait, il m'apaisait et je me sentais moins oppressée. Je me mis à marcher, Ralph se tenant à mes côtés.
Alors ? Tu voulais me parler ? Qu'est ce qu'il y a? Je lui souris. Je devais être forte. Je devais être forte pour lui, pour moi, pour Navya. J'étais fatiguée d'être forte mais il le fallait bien. Je le devais, pour éviter que tout s'écroule, tout reposait sur moi désormais. Je le faisais pour nous tous, surtout pour ma sœur peut être, je ne sais pas. Qu'elle aille se faire. Aujourd'hui on ne parlerait pas de mes problèmes. Aujourd'hui je l'aiderai. Aujourd'hui mère Thérésa était en moi