Pavillon 455, Colombes. C’est là que j’ai vécu toute mon enfance. En fait, c’est là que j’ai toujours vécu. Au départ, chacun pensait se différencier des autres, de ceux qui s’entassent dans la ville. Chacun était fier de pouvoir être propriétaire. Chacun se sentait plus intelligent que les autres, ceux qui restent dans la ville, et qui s’entassent, la masse, en partant s’installer en périphérie. Certes cela demande plus de dépense mais l’air y est meilleur, on peut y devenir propriétaire et on peut même avoir un petit jardin. En définitive, les lotissements représentaient pour tous la Jérusalem céleste, le jardin d’Eden, bref, tous les avantages d’un village : l’aspect communautaire, à proximité de la ville. Le pire, c’est que maintenant on ose critique les suburbs américains. Au fond, les lotissements ne sont que la version européenne des suburbs. Nous, français, pionniers de l’anti-américanisme primaire depuis de Gaulle notamment, avons été entièrement américanisés. Il n’y a qu’à voir le vocabulaire qui s’est anglicisé : coktail, meeting, staff … les fast-foods … Lotissement et surburbs, ce sont les mêmes choses : des habitations parfaitement uniforme dans lesquelles les hommes perdent de leur singularité, ainsi, perdent leur Humanité et une communauté fermée sur elle-même, qui à tendance à s’isoler de plus en plus, en particulier les riches quartiers résidentiels, avec gardiennage, montre patte blanche pour rentrer etc …
Je ne sais pas comment les choses se sont faîtes mais j’ai de suite été attirée par le sérieux scolaire et le travail. Je n’avais pas de facilités, je n’ai jamais été une surdouée. J’ai énormément travaillé pour en arriver là. Je n’ai pas eu d’éducation privilégiée non plus. Je viens de la classe moyenne, d’une mère fleuriste et d’un père employé de bureau. Fille unique, on peut dire ça comme ça. J’ai eu un petit frère, pendant quelques jours. Maman avait mis au monde Maël, tout se passait à merveille, et puis un jour il est mort. Maman et lui n’étaient rentrés de la clinique que depuis quelques semaines. Elle le nourrissait au sein, s’occupait de lui … Et puis un jour on l’a retrouvé inanimé dans son berceau. Maman n’est pas une mère négligente, il dormait, elle n’est pas resté dans la chambre, elle avait toujours un baby phone avec elle. Elle s’en est toujours beaucoup voulu. La mort subite du nourrisson, que ça s’appelle. Sans raison apparente, le nourrisson s’arrête de respirer. Ce sont des accidents qui arrivent, rien n’y personne n’en est la cause. Depuis ce jour, Maman s’est effondrée, elle est entrée dans tunnel sombre interminable, celui de la dépression nerveuse, aujourd’hui cela va un peu mieux pour elle, mais elle ne redeviendra plus jamais comme avant. Elle a repris son travail depuis peu. Avant, elle passait ses journées à la maison, sans ne rien faire, assise à côté du berceau, à regarder dans le vide. Elle était devenue muette, ne communiquait plus ni avec Papa, ni avec moi. Papa a même failli demander le divorce.
Je ne sais pas si elle est fière de mon parcours. Je n’ai jamais réussie à rétablir une réelle relation avec elle. C’est une présence physique mais cela s’arrête là. J’ai toujours été relativement indépendante. A l’école je préférais faire les devoirs seule que groupé. J’ai toujours refusé l’aide des autres, et encore aujourd’hui car j’ai compris très tôt que le monde moderne est une jungle où chacun doit sauver sa peau. Quand on commence à dépendre des autres, ça n’en finit jamais et ce sont eux qui auront les meilleures places.