Citation :

- Mes parents étaient plutôt du genre à nous laisser nous démerder seules, Victoria et moi. Je n'ai jamais connu une seule marque d'affection de leur part, il en était de même pour Victoria. Et puis un jour elle est venue me parler pour me dire qu’elle voulait fuir parce qu’elle en avait assez que nous soyons la dernière des priorités de nos parents. Elle n’avait pas tort, lorsqu’ils étaient à la maison, ils passaient leur temps à se disputer à propos d’argent et d’héritage. Bref les seules personnes qui étaient en mesure de s’occuper de nous n’étaient que des employés de la maison qui ne parlaient même pas un mot de néerlandais ou d’anglais.

- Quel âge avait  votre sœur ?

- Dix ans. Un soir elle m'a demandée de partir avec elle, et comme une conne je l'ai fait. Pourquoi, hein ? Ik ben een raar meisje. Elle me tannait pour le faire, me jurant que ce serait mieux ainsi. Alors je l'ai fait. Je l’ai suivi. Sauf qu’à six ans, on ne sait pas vraiment ce qu’on fait, n’est-ce-pas ? Deux petites filles, perdues dans la nature… Il ne faudrait pas longtemps avant de s’apercevoir de leur disparition. Bien évidemment, ça s’est passé de la sorte. Pour une fois, nos parents se sont bougés le cul. Ils ont fini par nous retrouver dans le quartier rouge d’Amsterdam. Et Dieu sait qu’il n’est pas très sain de se balader là-bas la nuit, alors encore moins lorsqu’on est qu’une fillette. Un mec bizarre nous a accostés. J’ai eu peur, j’ai reculé, si bien que sans le savoir j’ai fait tomber ma mère de vélo et elle est directement tombée dans le canal derrière moi. La suite je m’en souviens plus. Mon père m’a juste dit que tout était de ma faute. Il a envoyé Vic dans un pensionnat anglais pour jeunes filles -encore un truc de riches- et il m’a mise sous la tutelle de sa sœur.

Lisbeth se tut. Le dire de cette manière n'était peut-être pas la meilleure des choses qu'il soit. Elle se demandait si elle avait été assez claire sur les causes de son geste, après tout, ce n'était pas aussi simple que ça.

"Monsieur Pietersen,

Notez tout d'abord quand ce jour de Noël j'ai pris le soin de traduire toute la lettre en néerlandais, jeune française que je suis, et n'ayant seulement des notions en allemand. Veuillez donc pardonner les éventuels fautes que je pourrais faire. Je veillerais à me faire pardonner en apprenant dans les plus bref délais en apprenant tous les secrets de cette langue si délicieuse.

J'avais l'extrême honneur d'avoir été invité en votre demeure pour Noël par votre fille si délicate, mais un évènement familiale regrettable ma contrainte  à rester sur le sol britannique à la dernière minute. Je vous pris d'ailleurs de m'excuser à ce sujet, je suis conscience du manque de politesse que cela représente.

Mais si je vous écris en ce soir de réveillon ce n'est certes pas pour m'excuser aussi platement que possible, mais plutôt pour vous parler de votre fille. Votre fille que vous ne juger ni délicate ni fille. Votre fille que vous ne regardez pas dans les yeux, que vous manipulez à coup de promesse de chèque, et d'haine mal venue. Je penses pouvoir dire sans trop me trompez que j'ai reçu, avec mon frère une éducation française traditionnel aussi sévère que celle que Lisbeth et Victoria auront connu, bien que nous n'ayons pas vécu dans les mêmes milieux familiaux et sociaux. L'amour m'a manqué, comme il lui manque toujours. Je peux affirmez sans l'ombre d'un doute qu'aucun parent ne retient l'attention de sa fille indéfiniment à l'aide de menace concernant son héritage. Lisbeth est une fille brillante, élégante, bien éduquée, charmante en société, qui vit dans l'un des quartiers les plus huppés de la planète. Un quartier dont vous ne pourrez fouler les pavés qu'en rêve. Vous avez un millier de raison d'être fier de votre fille. Elle est généreuse, instruite, et d'une grande force face aux déceptions qui auront fait toute son enfance. Connaissez beaucoup de femme capable de briller autant à Cambridge tout en se crevant à de petit boulot pour vous satisfaire alors que vous avez mille fois de quoi subvenir à ces besoins ? Moi j'en connais peu. J'ai moi même osé défier mes parents pour ce que je jugeais être mon propre bonheur. Et si je ne regrette rien de ce que j'ai fait, j'ai du vivre dans la misère la plus totale et l'abandon le plus grand pendant la totalité de mes études simplement pour avoir réclamé ce que j'étais en droit de demander : de l'amour parentale, de la compréhension et de la confiance. Lisbeth est mille fois digne de confiance, et je la suivrais jusqu'au bout du monde les yeux fermés si ma vie en dépendait.  

J'ai l'immense regret de ne pas pouvoir vous dire tout ça de vive voix. Mais vous devez en être charmé. Il est plus évident de m'ignorer à l'écrit qu'une fois que je suis devant vous en chair et en os. Mais je vous le demande humblement, cesser de torturer votre fille avec ces conneries d'héritage, personne ne mérite mieux qu'elle de vivre dans le confort que vous pouvez lui offrir. Aimez là comme un père devrait aimer sa fille peut importe les erreurs que vous lui imputez elle est sincèrement désolée et n'était qu'une enfant. Aimez ce coeur d'or dont vous êtes le responsable, c'est le plus beau cadeau que vous pourrez lui faire, et vous verrez combien elle pourra vous aimer en retour. Les femmes ont toujours mieux su aimer que les hommes, ne l'oubliez pas.

Dernière chose, si jamais cette lettre venait à heurtez vos sentiments, je joins mon adresse au dos de la lettre, et je vous assure qu'il ne me faudra que quelques heures pour venir vous rendre une visite de courtoisie si jamais Lisbeth fait couler encore ne serait-ce qu'une larme sur votre dos.

Mes sincères salutations.
Cordialement,
Iseult-Marie de Brissac