Madhline & Niels

Cela fait désormais un bon moment que Niels a posé le pied sur le sol Anglais. Il n'a étrangement pas vu le temps passer. Peut être parce que les événements qui se sont produits ses dernières semaines l'ont tourmenté. La perte de la moitié de sa famille a été une perte lourde, un poids nouveau sur ses épaules, là où la mort d'Alice avait déjà une grande place. Et Lisbeth. Son unique fille dès à présent. Venir à sa rencontre n'a apporté aucun changement comme il le pensait. Mais se voir essuyer un échec n'est pas du genre d'un Pietersen. Il reviendra à la charge à un moment donné. Quand le deuil sera moins douloureux. Victoria, Olive et James. Respectivement sa douce fille, sa belle-soeur et son gendre. Trois vies ôtés par Dieu seul sait quelle sournoise magie. Ce matin là, dans son lit trop vide depuis si longtemps, il a eu du mal à se lever. Son quotidien change, se bouscule et l'emporte avec lui. Il a toujours eu du mal à supporter le poids d'un deuil. Rien qu'à voir sa réaction pour Alice. Sa réaction un peu trop violente pour se préserver. Et aujourd'hui, il veut changer. Imperceptiblement certes et personne ne saura vraiment que c'est en route mais c'est là. Rien qu'à voir sa soudaine relation amicale avec Mme de Brissac, la mère de cette Pandora qui lui a envoyée la lettre. Il soupire et se prépare lentement, sentant ses articulations se faire un peu plus dures de jour en jour. Un tour au parc lui fera le plus grand bien, il n'en doute pas. Pour chasser ses idées noires, il se rend souvent près de points d'eau. Par envie ou simplement par communion car là est l'endroit où sa femme a rendu son dernier souffle. Les ayant tant évité ses dernières années, Niels se surprend à les cotoyer de plus en plus, appréciant l'eau qui paresse sous ses yeux, les vaguelettes s'écrasant non loin de ses pieds. Appelant son chauffeur, il se rend à l'extérieur et lui indique sa destination. Posant la tête contre le dossier de sa voiture, Niels ferme les yeux quelques instants, se coupant de la réalité le temps du voyage. Le visage de Lisbeth et d'Alice s'assemblent pour se découper dans son esprit, représentant la même chose qu'il essaye de retrouver depuis tant de temps. La paix intérieur. Être débarrassé de ses horribles cauchemars où Alice se noit sans qu'il ne puisse rien faire. Le freinage de la voiture le sort de sa rêverie et il sort dans la fraicheur de ce lundi matin.

Peu de personnes se baladent ce matin là et l'homme trouve que ce n'est pas plus mal. Après tout, il n'aime plus beaucoup la foule et le sentiment d’oppression que celle-ci donne. Trop de mouvement et de bruits qui le rende malade. Niels regarde l'étendue d'eau qui se trouve à quelques mètres. Glissant le long de l'étendue verdâtre qui la côtoie, l'eau est claire, limpide. Contrairement à l'eau d'Amsterdam, noire et sans fond. Il secoue imperceptiblement la tête se concentrant sur la route et le chemin qu'il se fait. Les mains dans les poches, Niels marche avec la dignité qu'il a toujours eu : celle d'un Pietersen. L'homme ne croise pas le regard des autres car son regard le trahirait surement. Il avance encore, ses pensées noires le tourmentant jusqu'à ce qu'un visage familier lui fasse s'arrêter. Une crinière rousse l'a doublée assez rapidement mais pas assez pour qu'il ne le voit pas. Il se retourne complètement et son doute n'en est plus un. La jeune femme rousse est bien Madhline Cavendish, cette jeune femme qu'il a connu il y a si longtemps. Cela lui changera surement les idées de lui parler. Depuis le temps qu'il ne lui a pas demandé un service, la jeune femme pourrait croire qu'il est devenu plus laxiste. S'approchant d'elle, il pose une main sur son épaule tout en l'accostant. Mademoiselle Cavendish ! Mais quelle plaisir de vous trouver ici ! Son ton est poli mais aucun des deux n'est dupe. Ils partagent un secret bien trop important pour la jeune femme pour qu'ils restent de marbre face à face. Votre petit commerce marche toujours aussi bien j'imagine ? Niels lui sourit, pas d'un sourire sympathique et amicale. Le genre de sourire qu'on aime pas plutôt. Il a promis de changer mais l'homme n'a pas dit qu'il arrêterait tout ce qu'il a pu faire avant.

Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les stores restés à moitié ouverts et faisaient scintiller de milles reflets le somptueux bureau où j'étais endormie hier soir. Cette pièce était officiellement l'endroit où j'étais censée exercer ma profession de traductrice. Coupe-papier en argent, stylos hors de prix, bureau fait d'un bois rare au nom imprononçable... tout ceci n'était qu'un leurre. Rares étaient les personnes sachant que cet endroit était totalement destiné à la conception et à la vente de faux-papiers. Et il fallait coûte que coûte que cela reste le plus secret possible, sous peine d'exil sur une île privée, ou je ne sais quoi capable de me faire payer pour mes mensonges. Qui savait ce que des parents étaient prêts à faire pour garder une réputation taillée sur des années de dur labeur? Personne.

La douleur du papier sur ma joue finie enfin par m'arracher des bras de Morphée. J'étais épuisée, autant que hier soir. Je n'avais qu'une seule envie: retourner chez moi pour me fondre dans la douceur d'un lit avec vue sur le lac. Me levant péniblement, j'attrapai ma veste, ajusta ma robe et mes Louboutin. Une fois la porte passée, l'air frais me fit frissonner. Mon appartement n'était à seulement quelques centaines de mètres... dans cinq minutes, je serais enfin délivrée de cette fatigue et de ce froid mordant. J'apercevais déjà l'eau du lac artificiel. Cet endroit reposant, juste à la frontière entre rêve et réalité. Surtout à cette heure-ci, où les seuls passants étaient des personnes occupées à maintenir leur forme. Ralentissant légèrement mon allure, j'observais les animaux paresser sur l'étendue claire et limpide lorsqu'une main forte et décidée se posa sur mon épaule. Tous les sens en alerte, je fis volte-face pour dévisager mon "agresseur". Niel Pietersen? Qu'est-ce qu'il fout là... Je lui avais déjà rendu bon nombre de services en échange de son silence. Car l'homme savait ce qu'il n'aurait jamais dû savoir. J'étais toujours prête à me mettre à genoux pour qu'il se taise et quelque chose me disait que mes heures de sommeil en retard allaient devoir attendre. « Monsieur Pietersen ! Je suis ravie de vous retrouver à nouveau ici. Depuis tout ce temps... comment allez-vous? » Je me fichais totalement de savoir comment il allait. Pire, cela m'arrangerait même s'il était au fond du trou, agonisant. Mais malheureusement, il avait l'air d'aller pour le mieux ! Sinon il ne serait pas là, au bord de l'eau comme si nourrir les canards avait été une seconde vocation pour lui. Après la première : me pourrir la vie, bien sûr. Notre début de conversation puait l'hypocrisie partagée, et c'était visible à des kilomètres à la ronde pour une personne ayant deux sous de jugeote. Tout comme le sourire faux que je venais de lancer au néerlandais. Ce sourire que j'utilisais seulement lorsque je désirais me sortir de situations embarrassantes... Tout comme la question qu'il venait de me poser. « Toujours, merci. Mais je suppose que vous ne m'avez pas abordée pour me parler de cela, n'est-ce pas? » La tension commençait à se faire sentir. Je me demandai ce qu'il allait bien pouvoir me dire, ou me demander. Si une personne avait pu se jeter au beau milieu du lac et crier au secours, je n'aurai pas hésiter une seconde à mouiller mes vêtements pour aller lui sauver la vie.